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Comment le salon aéronautique du Bourget a boycotté les entreprises israéliennes

Il fut un temps où le salon du Bourget (Paris Air Show) – l’un des plus grands au monde – était associé par le public français à des promenades familiales dominicales, où enfants et adultes pouvaient admirer des avions modernes impressionnants. Mais les tensions géopolitiques et les guerres dans différentes régions du monde ont aussi influencé le contenu du salon aéronautique. ‍

Les discussions professionnelles sur les nouvelles technologies tournent de plus en plus souvent autour des armes. Cette fois, le principal sujet du Bourget pour les médias a été le scandale lié à l’interdiction des stands des entreprises israéliennes. Le matin du premier jour du salon, les représentants de ces entreprises ont découvert que leurs stands étaient fermés par des panneaux en contreplaqué recouverts de tissu noir. Dans un «  ghetto  », comme l’a dit le président israélien Isaac Herzog dans une interview à LCI, se sont retrouvées cinq entreprises sur huit, dont Israel Aerospace Industries, Elbit Systems et Rafael Advanced Defense Systems. Elles devaient présenter les dernières technologies, telles que des avions de reconnaissance, des drones tactiques, des systèmes d’interception et des missiles de haute précision. Par exemple, l’entreprise Rafael a dépensé deux millions d’euros pour sa participation à l’exposition.

Avant l’ouverture du salon, des manifestations pro-palestiniennes ont eu lieu autour des espaces d’exposition, appelant au boycott de la participation des Israéliens, et certaines associations ont saisi la justice à ce sujet.

Le tribunal de Bobigny a rejeté cette demande, la décision de première instance ayant été confirmée par la cour d’appel. Pourtant, cela n’a pas changé la situation.

Le Premier ministre François Bayrou, qui a visité le salon dès le premier jour, a annoncé que l’interdiction concernait les armes offensives – en raison de «  la situation terrible vécue par les habitants de Gaza  » et du souhait de la France de «  montrer que les armes offensives ne doivent pas être présentes au Bourget  ». Il a ajouté espérer une résolution rapide du problème si les entreprises israéliennes retiraient les armes offensives de leurs stands. Le chef du gouvernement français a également assuré que l’ambassade d’Israël à Paris était informée de cette condition et l’avait acceptée.

Les autorités israéliennes – du ministère de la Défense au président – ont au contraire qualifié la décision de «  scandaleuse et sans précédent  », tandis que l’ambassade a déclaré n’avoir jamais accepté aucune condition.

L’ambassadeur d’Israël en France, Joshua Zarka, a également rappelé que «  les armes présentées par l’industrie israélienne au salon du Bourget sont utilisées par des pays qui se défendent en Europe de l’Est, et, plus largement, par tous les pays européens  ». «  Je ne comprends pas pourquoi ces armes poseraient désormais problème, – a poursuivi l’ambassadeur. – Parfois, il est difficile de comprendre la position de la France vis-à-vis d’Israël  ».

L’entourage de François Bayrou a précisé que ce qui entourait les stands israéliens n’était pas un mur, comme l’affirmaient les Israéliens, mais des «  drapés – les mots ont leur importance  ». Malgré les souhaits du Premier ministre, aucune solution n’a été trouvée à la fin du salon, et les événements se sont déroulés, bien que pacifiquement, dans une atmosphère de tension et d’affrontement. D’abord, les Israéliens ont écrit sur les panneaux noirs des messages aux visiteurs – «  ici devaient être présentées les dernières avancées technologiques que vous êtes interdits de voir  », puis les organisateurs ont recouvert ces inscriptions de drapés noirs supplémentaires, et finalement Yair Lapid, ancien Premier ministre israélien et farouche opposant à Benjamin Netanyahou, a déclaré sur BFMTV :

«  On ne nous a pas permis de montrer les capacités et le potentiel de l’industrie de défense israélienne à Paris, alors nous les montrons à Téhéran, et le monde entier les voit quand même  ».

Pourtant, il est difficile de qualifier la décision des autorités françaises d’«  inédite  ».

Eurosatory et Euronaval

En juin 2024, le salon des armements Eurosatory s’est tenu en France, durant lequel les appels au boycott des stands israéliens ont été tout aussi forts, et la cour commerciale de Paris est intervenue, ordonnant «  la suspension, jusqu’à la fermeture du salon, des mesures prises à l’encontre des entreprises israéliennes dont l’installation des stands avait été interdite  ».

Auparavant, le tribunal de première instance avait interdit «  la participation sous quelque forme que ce soit des fabricants d’armes israéliens, ainsi que de tout employé ou représentant des entreprises d’armement israéliennes, et de toute personne physique ou morale pouvant agir en tant que courtier ou intermédiaire  ».

En conséquence, même les visiteurs ordinaires venus d’Israël ont dû signer un document que l’Union des organisations juives de France (CRIF) a qualifié de «  honteux  ». Ils devaient y déclarer ne pas travailler pour une entreprise de défense israélienne.

Le CRIF a également souligné qu’Israël est le seul pays dont les citoyens sont soumis à cette procédure. Ainsi, non seulement les entreprises israéliennes, mais aussi les Israéliens eux-mêmes ont été victimes de «  discrimination honteuse  ». Cette pratique de signature a été rapidement abandonnée.

Examinant l’affaire en urgence, la cour d’appel a jugé que la décision de l’organisateur Coges Events d’exclure 74 entreprises israéliennes était «  discriminatoire  » et constituait une «  violation manifestement illégale  ». Cependant, la décision est arrivée trop tard pour que les entreprises israéliennes puissent présenter leurs produits.

De son côté, Coges Events a expliqué avoir agi sur la base d’«  une décision des autorités gouvernementales  ».

La situation s’est répétée en novembre 2024 lors du salon Euronaval. La décision de ne pas représenter Israël au salon a également été prise par le gouvernement français, comme indiqué dans un communiqué du salon :

«  Le gouvernement français a informé Euronaval, mardi 15 octobre, de sa décision d’autoriser la participation des délégations israéliennes à Euronaval 2024 sans stands ni exposition d’équipements  ». Le communiqué précisait également que sept entreprises israéliennes étaient concernées par cette décision.

Patrick Klugman, avocat représentant les entreprises israéliennes et la chambre de commerce franco-israélienne dans les procédures liées aux salons Eurosatory et Euronaval, a évoqué les courants sous-jacents qui s’opposaient à la participation des entreprises israéliennes :

«  Depuis Eurosatory, il est clair qu’au plus haut niveau de l’État existe une volonté d’empêcher les entreprises israéliennes d’accéder aux salons. Bien que cela n’ait jamais été explicitement formulé, nous avons compris que les entreprises israéliennes du secteur de la défense devaient en quelque sorte répondre des mauvaises relations entre le Premier ministre Netanyahou et le président Emmanuel Macron  ».

Concernant Euronaval, selon l’avocat, «  l’État a pris en compte les décisions judiciaires rendues concernant Eurosatory, et le président a mobilisé la machine d’État au plus haut niveau. (…) Puis le préfet a adressé au président du tribunal ce qu’on appelle une déclaration d’incompétence, une mesure exceptionnelle par laquelle l’État interdit au tribunal d’intervenir dans un litige donné  ».

Grâce au travail des défenseurs, le tribunal a pu conserver sa compétence et a statué que, quelles que soient les décisions du Conseil de défense, l’organisateur du salon Euronaval ne peut empêcher les entreprises israéliennes d’installer leurs stands.

«  L’absurdité de la situation, – ajoute Klugman, – a atteint son paroxysme lorsque le dernier critère a été utilisé pour tenter d’éviter les accusations de discrimination : il a été exigé que les entreprises israéliennes ne présentent pas d’équipements liés au secteur de Gaza ou du Liban. Pourtant, cette condition n’a été imposée qu’aux entreprises israéliennes, pas aux américaines ou allemandes, qui pouvaient aussi être impliquées dans ces régions  ». Rappelons que la France est également le deuxième exportateur mondial d’armes.

Le prochain salon Eurosatory aura lieu en juin 2026, Euronaval en novembre de la même année. «  Ce sera la même histoire  », prédit une source gouvernementale dans un article de Le Point.

«  La bataille des drapeaux  »

Le scandale du Bourget s’est étendu au-delà des espaces d’exposition. La ville qui donne son nom au salon se trouve dans le département de la Seine-Saint-Denis en région parisienne, qui, selon le recensement de 2015, présente le pourcentage le plus élevé de population immigrée en France.

Le président du conseil départemental, Stéphane Troussel, membre du parti socialiste, a annoncé avant le salon sur le réseau X qu’il ne participerait pas à la «  réception officielle traditionnelle du président de la République et du Premier ministre au salon aéronautique de Paris  », car des représentants d’entreprises israéliennes y seraient présents.

Lors du salon, l’homme politique a également demandé que la tour Eiffel soit illuminée aux couleurs du drapeau palestinien. La décision revient à la mairie de Paris, et comme la France ne reconnaît pas actuellement l’État palestinien, une réponse favorable est peu probable. Cependant, la «  guerre des drapeaux  » entre les mairies françaises a déjà commencé.

Après l’invasion russe en Ukraine, de nombreuses municipalités françaises ont décidé, en signe de solidarité, de hisser le drapeau ukrainien à côté des drapeaux national et européen. Cet élan a été repris dans presque toutes les régions et départements. De même, les mairies françaises ont été décorées du drapeau tibétain et du drapeau arc-en-ciel de la communauté LGBT+.

Hôtel de ville de Saint-Denis. Photo : DR

À Saint-Denis, principale ville du département où se tient le salon du Bourget, le maire socialiste Mathieu Hanotin a hissé le drapeau palestinien sur l’hôtel de ville et organisé une cérémonie solennelle en présence de représentants de l’Autorité palestinienne. Le préfet de la Seine-Saint-Denis a appelé le maire à retirer ce drapeau, invoquant la jurisprudence française selon laquelle les bâtiments publics ne peuvent en aucun cas afficher des opinions politiques, philosophiques ou religieuses, et que le principe de neutralité, lié à l’égalité des citoyens, doit prévaloir.

Parallèlement, le 16 juin, le préfet des Alpes-Maritimes a demandé au maire de Nice, Christian Estrosi (parti centriste Horizons), de retirer le drapeau israélien qui flottait sur la mairie depuis le 7 octobre 2023.

Les deux maires résistent pour l’instant. La législation ne permet pas d’affirmer avec certitude que les mairies n’ont pas le droit de gérer à leur guise les façades de leurs bâtiments, notamment d’y hisser des drapeaux.

Dans la ville bourguignonne de Bourg-en-Bresse, le maire (également socialiste) Jean-François Debat a décoré la ville de drapeaux palestiniens lors d’un rassemblement organisé par l’association «  France-Palestine  ». À Chalon-sur-Saône, ville voisine, le maire Gilles Platret (ancien membre des Républicains) a, après une série de troubles urbains, pris un arrêté interdisant d’exposer et de vendre des drapeaux palestiniens, les qualifiant de «  drapeaux de révolte et de violence  ».

«  Dans la nuit du samedi 31 mai au 1er juin (après la victoire du PSG), plus de 200 jeunes âgés de 15 à 20 ans sont venus au centre-ville depuis les quartiers de logements sociaux, – explique Gilles Platret, – avec l’intention de frapper les policiers et brandissaient ostensiblement des drapeaux palestiniens. Ces drapeaux sont devenus le slogan de bandes islamistes décidées à défier les institutions républicaines, et ils n’ont pas leur place dans nos rues  ». Estimant que la décision municipale constitue une «  atteinte grave à la liberté d’expression  », le tribunal administratif de Dijon a suspendu cet arrêté.

Dans la campagne municipale en cours, à la «  bataille des drapeaux  » s’est ajoutée la lutte concernant les villes jumelées. À l’appel du mouvement d’extrême gauche «  La France insoumise  », certaines villes envisagent de geler leur coopération avec des municipalités israéliennes, coopération en place depuis plusieurs dizaines d’années. Et dans les conseils municipaux, des représentants des partis politiques se battent pour maintenir ou annuler ces jumelages, notamment à Toulouse avec Tel-Aviv, à Strasbourg avec Ramat Gan, à Bordeaux avec Ashdod.

Ainsi, les vœux exprimés depuis dix ans par les présidents et chefs de gouvernement français de «  ne pas transférer le conflit israélo-palestinien sur le territoire français  » restent lettre morte. Les façades des mairies françaises, les salons et expositions en sont la preuve principale.

Sur la photo principale – le stand de l’entreprise israélienne Rafael au salon du Bourget, fermé par des panneaux noirs. Photo : réseaux sociaux

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