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Impasse du Caucase du Sud. Comment la Russie a perdu lArménie et lAzerbaïdjan

L'aggravation brusque et simultanée des relations russo-azerbaïdjanaises et russo-arméniennes, survenue récemment, en dit long sur l'ensemble de la politique étrangère du Kremlin.

Le récent pic de tension dans les relations entre Moscou et Bakou a commencé par un incident assez banal pour la Russie actuelle : un nouvel abus de la police russe envers ceux que l'on appelle au quotidien en Russie les «  non-Russes  », et au niveau étatique les «  migrants  ». L'incident s'est produit à Iekaterinbourg. Cette fois, les vaillants gardiens de l'ordre russe ont dépassé les bornes. Au lieu de se contenter, selon une tradition déjà établie, de couper les oreilles des détenus, ils ont battu à mort deux d'entre eux – Huseyn Safarov, 60 ans, et son frère Ziyaddin Safarov, 55 ans.

Comme c'est souvent le cas dans de telles situations, il a été annoncé que les détenus étaient morts d'insuffisance cardiaque. Cependant, l'Azerbaïdjan n'est plus aujourd'hui un pays où de tels incidents peuvent se dérouler impunément.

Les Azerbaïdjanais tués ont été rapatriés, et une autopsie réalisée en Azerbaïdjan a révélé qu'ils étaient morts suite à des passages à tabac brutaux.

La réponse d'Aliyev aux événements d'Iekaterinbourg a été d'une sévérité sans précédent. Les forces de l'ordre azerbaïdjanaises ont arrêté sept personnes dans les locaux du relais russe à Bakou – «  Sputnik Azerbaïdjan  » – dont le rédacteur en chef Igor Kartavykh et le rédacteur en chef adjoint Evgueni Belousov, qui ont été accusés d'appartenance au FSB. Officiellement, ils sont poursuivis pour fraude, activité commerciale illégale et blanchiment d'argent. L'Azerbaïdjan a également annulé tous les événements culturels et interparlementaires russo-azerbaïdjanais.

La scène a été complétée par les images de l'arrestation de dix Russes à Bakou, plus tard accusés de trafic de drogue et de cybercriminalité. Les forces de sécurité azerbaïdjanaises les ont forcés à marcher en canard, à se coucher face contre terre, les mains ostensiblement tordues dans le dos, avant de les embarquer dans des fourgons. Cette opération spectaculaire était en fait un miroir de l'arbitraire policier que subissent les migrants en Russie depuis presque tout le mandat de Poutine.

Une humiliation de cette ampleur, l'Empire russe ne l'avait probablement pas connue depuis environ 200 ans, depuis la défaite de l'ambassade russe en Iran et l'assassinat de l'ambassadeur Alexandre Griboïedov en 1829.

Les blogueurs pro-Kremlin ont déclenché une véritable hystérie, imaginant des mesures de représailles de Moscou. Le plus loin dans cette voie a été le propagandiste télévisé Vladimir Soloviev, qui a laissé entendre la possibilité d'une guerre de la Russie contre l'Azerbaïdjan.

Mais le ministère russe des Affaires étrangères s'est contenté de déplorer la dégradation des relations bilatérales, et le porte-parole de Poutine, Peskov, a promis que «  nous défendrons les intérêts légitimes de nos citoyens par des voies diplomatiques  ». En d'autres termes, il n'y aura pas de guerre, du moins pas maintenant.

Derrière l'Azerbaïdjan, avec son armée moderne et solide, se dresse une muraille infranchissable : l'armée turque. Ce que représente l'armée turque a pu être compris dès février-mars 2020 dans la province syrienne d'Idlib, où une importante force russe a subi une défaite écrasante face aux forces armées turques. Après cinq jours de combats, on comptait 3 500 morts parmi les Russes et leurs alliés de l'armée syrienne du dictateur Bachar al-Assad.

En septembre-novembre 2020, lors de la bataille du Haut-Karabakh, l'allié officiel de la Russie, l'Arménie, a été écrasée par l'armée azerbaïdjanaise, bien entraînée par des instructeurs turcs. Moscou n'a même pas bronché pour aider son allié. La principale raison de cette passivité russe est que le président turc Recep Erdogan avait ouvertement averti que l'armée turque et son aviation interviendraient si une puissance étrangère tentait de s'immiscer dans ce conflit – et pour plus de crédibilité, il avait déployé six chasseurs F-16 sur l'un des aérodromes azerbaïdjanais.

Poutine n'est pas intervenu. Il n'était pas question pour lui de s'engager dans une guerre difficile contre l'alliance puissante Ankara-Bakou. Comme on le comprend aujourd'hui, la préparation de l'attaque contre l'Ukraine entrait alors dans sa phase finale.

Aujourd'hui, enlisé en Ukraine, Poutine ne peut plus se permettre d'attaquer aussi l'Azerbaïdjan, protégé par la Turquie. En revanche, il peut frapper là où on ne l'attend pas. S'il ne peut pas ouvrirement attaquer l'Azerbaïdjan fort, pourquoi ne pas frapper la faible Arménie, qui s'est aussi détachée de Moscou ?

Et en effet, sur fond d'aggravation sans précédent des relations avec l'Azerbaïdjan et l'Arménie, Moscou, selon les renseignements ukrainiens, déploie ses militaires sur le territoire arménien, probablement à la base de Gyumri. Mais cette démarche est vouée à l'échec. La base est petite, au mieux elle abritait environ 2 000 soldats et officiers. Sachant que ces trois dernières années, les militaires russes y servant ont été régulièrement envoyés en Ukraine, on peut supposer qu'il s'agit simplement d'une tentative de ramener l'effectif de cette base russe à son niveau d'avant-guerre. Que peuvent faire ces 2 000 soldats russes aujourd'hui ? Prendre d'assaut Erevan, une ville d'un million d'habitants ? Ridicule. Quant à une guerre contre l'Azerbaïdjan, n'en parlons même pas.

N'ayant aucun levier de pression sur l'Azerbaïdjan, le Kremlin a tenté de s'en prendre à l'Arménie. La tactique consiste à ne pas la perdre comme poste avancé dans le Caucase du Sud. Pour cela, diverses «  mouvances  » et «  protestations  » sont financées ici avec l'argent de Moscou, visant à amener au pouvoir à Erevan un gouvernement docile envers la Russie.

Par ailleurs, le ministère arménien des Affaires étrangères a récemment exprimé de manière inattendue sa volonté d'adhérer à l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), pro-russe. Dans le contexte de la détérioration catastrophique des relations arméno-russes que nous observons ces derniers temps, ce geste semble quelque peu dissonant. Quelques jours auparavant, l'Arménie avait de nouveau refusé de participer à une réunion du bloc politico-militaire pro-Kremlin – l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC). Et voilà soudain cette volonté d'entrer dans l'OCS. Que signifie cela ?

En réalité, rien. Erevan ne change pas de cap, il ne faut pas se faire d'illusions. Simplement, le siège de l'OCS et son secrétariat ne se trouvent pas à Moscou, mais à Pékin. Et cela en dit long. Il est significatif que l'annonce du refus d'Erevan de participer au sommet de l'OTSC ait également été faite en Chine, lors d'une récente visite du chef de la diplomatie arménienne.

L'Arménie change simplement de «  toit  ». Que peut-elle faire d'autre ? Dans le conflit du Haut-Karabakh, la Russie l'a trahie, l'Amérique menée par Trump est totalement imprévisible. L'Europe ne lui apportera pas d'aide militaire rapide, surtout dans le contexte de la guerre en Ukraine.

Le président français Emmanuel Macron fait régulièrement des déclarations fortes en faveur de l'Arménie, mais ce ne sont que des déclarations politiques, alors que l'Arménie a besoin d'une aide concrète et de garanties.

En l'absence d'une aide réelle des États et organisations mentionnés plus haut, qui soutiennent Erevan en paroles mais le laissent seul face à la puissante alliance Bakou-Ankara, les garanties de Pékin renforcent la confiance des dirigeants arméniens.

Le gouvernement de Nikol Pachinian vient tout juste de réprimer une nouvelle tentative de coup d'État dans le pays. Ont été arrêtés des politiques affichant clairement leur orientation pro-russe : les archevêques de l'Église apostolique arménienne Mikaël Adzhapahyan et Bagrat Galstanyan, ainsi que l'oligarque russe Samvel Karapetyan, qui contrôle une grande partie du secteur énergétique arménien.

Par ailleurs, le 6 juillet, le représentant spécial du président azerbaïdjanais, Elchin Amirbekov, a déclaré que Bakou et Erevan avaient finalement convenu du texte d'un traité de paix. Des problèmes subsistent encore entre les deux pays, mais la signature d'un traité de paix pourrait être un événement d'une immense importance pour toute la région.

L'Arménie et l'Azerbaïdjan pourraient mettre un point final décisif à leurs différends et entamer un mouvement historique de rapprochement, non pas envers Moscou, mais l'un envers l'autre.

Dans le Caucase du Sud, Poutine ne dispose plus que de la Géorgie avec sa direction pro-russe, mais cela ne lui apporte guère. D'une part, cette direction lui rappelle régulièrement que la Russie occupe 20 % du territoire géorgien. D'autre part, s'il décidait d'envoyer des troupes à Tbilissi, il perdrait définitivement la Géorgie.

L'Arménie était une cible adaptée pour étendre son expansion vers le sud, mais désormais, grâce à sa politique «  sage  », tout se complique – proche du coude, mais impossible à mordre. Cela pourrait déplaire à Xi Jinping.

En d'autres termes, la Russie se trouve dans une impasse dans le Caucase du Sud. Et cette impasse illustre bien toute la politique étrangère du Kremlin.

Sur la photo principale – des citoyens russes arrêtés à Bakou, soupçonnés de transit de drogue, présentés au tribunal le 1er juillet 2025. Photo : Report via Telegram

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