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Oh vous, invités-messieurs ! Comment la victoire du club de football PSG en Ligue des Champions est liée au problème du lobbying qatari en Europe

Lorsque, après la victoire en Ligue des Champions, l’avion du PSG a atterri à Paris, toutes les caméras des journalistes présents ont capté l’immense inscription QATAR en grandes lettres sur son fuselage. Personne, en fait, ne cache que le club de football est une partie importante de la «  puissance douce  » de ce petit mais riche et ambitieux État arabe.

Le samedi 31 mai fut une soirée historique pour le football français. Le club parisien Paris Saint-Germain (PSG) a remporté pour la première fois la finale de la Ligue des Champions en battant l’Inter de Milan sur un score écrasant de 5 à 0. Comme cela arrive souvent en France, la joie de certains supporters s’est traduite par des émeutes nocturnes et des affrontements avec la police, principalement à Paris, mais pas uniquement. Le bilan désolant de cette fête est de deux morts, des centaines d’arrestations et de blessés, ainsi que des dégâts matériels importants, y compris des incendies de voitures.

Il se trouve que cette victoire historique coïncide avec le quatorzième anniversaire de la finalisation de l’acquisition de 70 % des parts du club parisien par le fonds d’investissement étatique qatari Qatar Sports Investments (QSI) en 2011. Plus tard, QSI a acquis les 30 % restants, et son dirigeant Nasser Al-Khelaïfi, devenu président du PSG, a déployé d’énormes efforts pour hisser le club au plus haut niveau européen. Les investissements massifs ont permis d’attirer des stars et de remporter dix fois le championnat de France, mais la victoire en Ligue des Champions restait hors de portée toutes ces années. Cette hauteur est désormais atteinte.

Le capitaine de l’équipe Marquinhos avec la coupe de la Ligue des Champions de l’UEFA. Photo : www.psg.fr

Il faut dire que le football français a toujours été dans l’ombre de ses voisins anglais, espagnols, italiens et allemands, et même les performances éclatantes de l’équipe nationale ne conduisaient pas à l’émergence de clubs stables et riches. La victoire de Marseille en Ligue des Champions en 1993 semblait un bel épisode un peu fortuit. Les clubs français manquaient d’investissements, les meilleurs joueurs comme Platini, Zidane ou Henry partaient jouer dans des championnats plus forts où ils confirmaient leur statut de stars mondiales, tandis que la France sur la carte du football mondial avait la réputation d’un pays qui sait former des talents mais ne sait pas vendre son championnat comme un spectacle attrayant ni augmenter la capitalisation de ses clubs. L’acquisition du PSG par des investisseurs qatariens a immédiatement changé cette situation. Alors qu’en 2011, lors de l’achat, la valeur du club parisien était estimée entre 50 et 70 millions d’euros, sa capitalisation a dépassé aujourd’hui 4 milliards d’euros et continue de croître. Les fan-clubs du PSG se sont étendus dans le monde entier, sa marque est devenue aussi reconnaissable que celle du Real ou du Bayern, mais tout cela a profité non seulement aux nouveaux propriétaires et supporters du club, mais aussi à l’ensemble du football français. Les droits télévisés du championnat français se vendent mieux, de nouveaux investisseurs arrivent dans des clubs plus modestes, et cette tendance est sans doute liée aux succès du PSG.

Cependant, la question «  pourquoi, en fait, le Qatar a-t-il besoin de cela ?  » est rarement posée, mais légitime. La seule passion pour le sport ne peut expliquer des dépenses de plusieurs milliards. Lorsque Roman Abramovitch achetait Chelsea, sa motivation, rationnellement, était facile à deviner : il s’agissait du désir d’un homme d’affaires russe influent d’acquérir un statut personnel plus élevé, combiné à des risques relativement faibles d’investir dans une infrastructure à haut rendement du football anglais. Mais en connaissant les problèmes des clubs français, il faut admettre que le Qatar n’a pas cherché la voie facile. Pour une raison quelconque, ils ont choisi un PSG assez problématique, un championnat problématique… pour atteindre quels objectifs ?

La puissance douce du Qatar

Plusieurs raisons évidentes expliquent le choix de l’émir du Qatar et de son entourage. Comme on le sait, en 2010, la Fédération internationale de football (FIFA) a décidé d’attribuer l’organisation de la Coupe du monde 2018 à la Russie, et celle de 2022 au Qatar. Si la candidature russe n’était pas aussi toxique qu’aujourd’hui et pouvait être considérée comme douteuse mais globalement acceptable, la présence du Qatar parmi les organisateurs du principal tournoi mondial de football, qui a lieu tous les quatre ans, suscitait au minimum de l’étonnement. Un pays très petit et très riche, sans réalisations sportives ni expérience d’organisation de grandes compétitions internationales, a soudainement obtenu ce droit, habituellement réservé à des pays avec une réputation footballistique plus établie. À ces étrangetés s’ajoutaient de sérieux désagréments. Il a fallu revoir les calendriers traditionnels de tous les championnats nationaux pour organiser le tournoi en hiver, car il est impossible de jouer au football au Qatar en été à cause de la chaleur. Il est évident que les représentants du Qatar ont dû trouver des arguments très convaincants pour assurer une décision en leur faveur.

Le président de la France était alors Nicolas Sarkozy, qui, par coïncidence, est devenu l’un des principaux lobbyistes du Qatar, tant dans les affaires sportives qu’économiques. En 2019, le Parquet national financier (PNF) a lancé une enquête pour suspicion de corruption dans toute l’histoire des relations entre Sarkozy, son entourage et les autorités qatariens. À ce jour, aucune accusation n’a été portée, mais il est évident qu’un «  gros marché  » a eu lieu (peut-être tout à fait légal, peut-être avec des éléments douteux). Le Qatar construisait sa nouvelle image de pays influent avec de grandes capacités et avait besoin d’organiser un événement international majeur comme la Coupe du monde de football. Sans attirer de grands lobbyistes européens de leur côté, cela aurait été impossible. Dans ce contexte, les représentants du Qatar ont réussi à trouver un terrain d’entente avec le président français, et l’achat du PSG est devenu une partie de cet accord.

Il est important de ne pas perdre de vue l’approche globale et systémique de Doha dans la construction de sa nouvelle image. Le président du PSG Nasser Al-Khelaïfi dirige également la société médiatique beIN Media Group, qui diffuse des retransmissions sportives dans 43 pays, dont 5 européens (dont bien sûr la France). Les signaux positifs venant du Qatar se diffusent dans différentes directions : une excellente organisation de la Coupe du monde, les succès du PSG, un réseau de retransmissions sportives. Bien sûr, cette activité en soi n’est pas mauvaise. La problématique de la «  puissance douce  » qatarie apparaît en Europe quand il devient clair que personne à Doha ne compte faire de concessions concernant son identité propre et ses plans d’expansion de son influence. Le Qatar est un pays strictement musulman, vivant selon la charia et ne reconnaissant pas les normes européennes des droits de l’homme. Sans doute, ce choix est une affaire interne du Qatar et de ses citoyens, — mais seulement tant qu’il n’est pas exporté.

Scandale au Parlement européen

Fin 2022, un énorme choc a secoué le Parlement européen. Le vendredi 9 décembre, la vice-présidente du Parlement européen Eva Kaili a été arrêtée par la police belge avec cinq autres suspects dans une affaire de réception de pots-de-vin de représentants du Qatar. Ancienne star de la télévision grecque et députée du Parti socialiste, Eva Kaili était l’une des 14 vice-présidentes du Parlement européen, chargée des relations avec les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. La gravité des accusations était telle qu’Eva Kaili a passé plusieurs mois en détention provisoire.

La police belge a mené un important travail et préparé l’arrestation des suspects de manière à ce que les preuves contre eux paraissent irréfutables, y compris d’énormes sommes d’argent liquide saisies lors des perquisitions. Le Qatar a immédiatement été mentionné comme commanditaire des services d’Eva Kaili et de son entourage. Les représentants de Doha ont naturellement nié toute implication dans le scandale, mais à Bruxelles, on parlait de la trace qatarie comme d’un fait établi. Il est probable que la police a informé la direction du Parlement européen et de l’UE des preuves recueillies, qui semblaient si convaincantes que les sanctions contre Eva Kaili ont été prises immédiatement et presque à l’unanimité. L’enquête est toujours en cours et la date du procès n’a pas encore été fixée.

Mais quels services Eva Kaili pouvait-elle rendre au Qatar ? Il faut rappeler que la préparation de la Coupe du monde a été fortement critiquée en Europe sur deux points. D’une part, il s’agissait du respect des droits de l’homme et notamment de la possibilité pour les supporters LGBT+ de visiter librement et en sécurité le Qatar. D’autre part, de nombreux rapports faisaient état des conditions de travail épouvantables sur les chantiers du Qatar, où toute l’infrastructure du tournoi devait être créée quasiment de zéro, y compris les huit nouveaux stades. Et en effet, Eva Kaili a fait plusieurs déclarations publiques réfutant toutes les accusations portées contre Doha.

Le lobbying en soi n’est pas un crime. Il n’y a rien de mal à ce que des représentants des métallurgistes ou des producteurs de fromage rencontrent des députés européens pour leur expliquer les particularités de leur métier. Le problème commence quand des rémunérations illégales apparaissent et que personne ne comprend ce qu’elles impliquent. De la même manière, dans le cas du Qatar, personne ne sait où se situe la limite entre fortunes personnelles et budgets politiques, ni jusqu’où peut aller le désir d’influencer l’opinion publique des pays de l’UE.

Les Frères musulmans

Lorsque, après la victoire en Ligue des Champions, l’avion du PSG a atterri à Paris, toutes les caméras des journalistes présents ont capté l’immense inscription QATAR en grandes lettres sur son fuselage. Personne, en fait, ne cache que le club de football est une partie importante de la «  puissance douce  » de ce petit mais riche et ambitieux État arabe.

Marquinhos en maillot du PSG avec l’inscription QATAR AIRWAYS. Photo : www.psg.fr

Politiquement, le Qatar a toujours cherché à apparaître comme un médiateur respectable dans les affaires internationales, principalement liées au monde musulman. À Doha, des négociations ont eu lieu entre les talibans et l’administration américaine sur le retrait des troupes américaines d’Afghanistan. Les dirigeants du Hamas ont longtemps résidé au Qatar, ce qui permettait de discuter à Doha des problèmes du Moyen-Orient en mode semi-secret. Dans les pays d’Afrique du Nord, majoritairement ou entièrement musulmans, notamment au Soudan et en Libye, les conflits entre groupes rivaux ne cessent pas, et presque toujours le Qatar est impliqué d’une manière ou d’une autre dans cette lutte, soutenant l’une des parties ou offrant ses services de médiation. La chaîne Al-Jazeera, fondée au Qatar en 1996, est l’une des plus influentes dans les pays musulmans. Doha n’oublie pas non plus l’Europe.

En mai 2025, le ministère français de l’Intérieur a publié un rapport sur l’activité des Frères musulmans en France. Il y était noté que, malgré un nombre relativement faible de mosquées et de partisans de ce courant dans l’islam, il représente un danger en tant que porteur d’un projet politique d’islamisation d’une partie de la société française, incompatible avec les principes constitutionnels de la Cinquième République. Il s’agit notamment de la promotion d’une éducation alternative parmi les jeunes et de la diffusion des idées de l’islam politique parmi les musulmans de France. Le Qatar y est mentionné comme la principale source de financement des Frères musulmans. Il n’existe toutefois pas de centre de commandement unique, et toute l’activité s’organise selon une structure en réseau.

Historiquement, le mouvement des Frères musulmans existe depuis environ 100 ans, mais il n’est pas unanimement reconnu dans le monde islamique. Le Qatar n’a jamais officiellement confirmé de liens étroits avec ce courant, mais en fait, les prédicateurs des Frères musulmans ont accès à toutes les ressources de l’émirat, y compris Al-Jazeera. Le danger du mouvement ne réside pas dans son radicalisme extrême — il existe dans l’islam moderne des courants bien plus intransigeants — mais dans sa stratégie politique qui consiste à créer progressivement des foyers de fondamentalisme islamique. Les habitants de l’UE pourraient un jour découvrir que des dizaines de milliers de personnes vivant à côté d’eux ne partagent pas du tout les vues européennes sur la société civile et les valeurs des droits de l’homme.

Des rumeurs, pas encore confirmées, circulent selon lesquelles le PSG envisagerait d’ouvrir une section arts martiaux mixtes (MMA), avec la participation de nul autre que Khabib Nurmagomedov. La puissance douce du Qatar, qui sait agir par le sport, ne compte pas s’arrêter là.

Sur la photo principale — les supporters du PSG à Munich ; extrait d’une vidéo publiée sur le site du club.

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